ASSOCIATION DE JURISTES EN POLYNESIE FRANCAISE - AJPF

Friday, December 07, 2007

Le Conseil constitutionnel adresse une réserve d'interprétation au législateur polynésien

Le 29 novembre 2007, le secrétaire général du gouvernement saisissait le Conseil constitutionnel d'une loi organique adoptée le jour même par le Sénat en seconde lecture conforme. Cette loi organique tend à « renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française ».

Par une décision n° 2007-559 du 6 décembre 2007, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition de la loi organique et a émis quelques réserves d'interprétation sur d'autres.

Cette décision est intéressante car une des réserves d'interprétation est directement adressée au législateur polynésien.

La technique de la réserve d'interprétation permet au Conseil constitutionnel, lorsqu'il est saisi en vertu des dispositions des alinéas 1 et 2 de l'article 61, de dépasser l'alternative que lui impose son rôle de déclarer une disposition conforme ou non à la Constitution.

Ainsi, il sauve la loi en la considérant comme conforme à la constitution sous réserve de l'application ou de l'interprétation qu'il lui donne.

C'est dire que ces réserves s'adressent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles auxquelles s'impose ses décisions en vertu de l'article 62 alinéa 2 de la Constitution.

Depuis peu, le dispositif de la décision indique au lecteur, le considérant par lequel le Conseil constitutionnel émet une réserve d'interprétation. Ce considérant exprime les motivations qui le conduisent à valider la loi sous réserve de l'interprétation qu'il en donne.

L'article 2 du dispositif de la décision n° 2007-559 du 6 décembre 2007 renvoi au considérant n° 9 qui traite de l'article 11-II de la loi organique. Celui-ci prévoit que « Les conditions dans lesquelles les communes peuvent bénéficier du concours financier de la Polynésie française sont fixées par un acte (...) dénommé « loi du pays » ».

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel précise quel devra être le contenu de cet acte dénommé « loi du pays », orné de guillemets comme pour rappeler les « actes dits lois » du régime de Vichy. Ainsi la loi devra fixer des critères d'attribution qui devront être « objectifs et rationnels » et ne surtout pas « instaurer une tutelle de la Polynésie française sur les communes ».

Il s'agit, à ma connaissance, de la première réserve d'interprétation directement adressée à l'assemblée de la Polynésie française.

Par le passé, le Conseil constitutionnel s'était déjà adressé aux autorités polynésiennes, mais de manière indirecte et en imposant « l'usage du français aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public, ainsi qu'aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics » (Décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996).

De même pour protéger la liberté individuelle, il a visé explicitement le législateur polynésien sans le nommer en considérant que « l'application des " lois du pays " aux contrats en cours ne sera possible que " lorsque l'intérêt général le justifie " (Décision n° 2004-490 DC du 12 février 2004).

Aujourd'hui, il semble que le soucis de protéger les libertés publiques l'amène à enjoindre au législateur polynésien à prendre, le cas échéant, une loi qui devra fixer des critères d'attribution. Dans le même temps, il assigne au Conseil d'Etat le soin de s'assurer que ces critères respectent les principes d'égalité et de libre administration des collectivités territoriales.

Il encadre donc l'action législative de la collectivité et oriente quelque peu le contrôle juridictionnel spécifique de la juridiction suprême de l'ordre administratif.

Au-delà de toute considération juridique, l'on peut remarquer que pour sauver la loi organique, le Conseil constitutionnel montre à l'assemblée de la Polynésie française et au Conseil d'Etat, comment exercer les missions qui leur ont été conféré par... le législateur organique.




Philippe T. NEUFFER
Avocat (Papeete)
6/12/2007