ASSOCIATION DE JURISTES EN POLYNESIE FRANCAISE - AJPF

Wednesday, March 29, 2006

LA SECURITE JURIDIQUE ET LE CONSEIL D'ETAT

La sécurité juridique et le Conseil d'Etat (information rapide)
Par une décision rendue le 24 mars 2006, l‘assemblée du contentieux du Conseil d’Etat a consacré le principe de sécurité juridique. Moins de deux semaines après la publication de son rapport public 2006 dont les considérations générales portaient sur la question et moins de trois mois après le rejet de la requête en référé-suspension, la juridiction administrative suprême censure le décret attaqué en tant qu’il porte atteinte au principe de sécurité juridique.

Par deux considérants de principe, la formation de jugement la plus solennelle du Conseil d’Etat rappelle un principe déjà connu du droit administratif et consacre celui de la sécurité juridique :

« Considérant qu’une disposition législative ou réglementaire nouvelle ne peut s’appliquer à des situations contractuelles en cours à sa date d’entrée en vigueur, sans revêtir par là même un caractère rétroactif, qu’il suit de là que, sous réserve des règles générales applicables aux contrats administratifs, seule une disposition législative peut, pour des raisons d’ordre public, fût-ce implicitement, autoriser l’application de la norme nouvelle à de telles situations ;

Considérant qu’indépendamment du respect d’une telle exigence, il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle ; qu’il en va ainsi en particulier lorsque les règles nouvelles sont susceptibles de porter une atteinte excessive à des situations contractuelles en cours qui ont été légalement nouées ; »

Le Conseil d’Etat rappelle donc qu’une exception au « principe en vertu duquel les règlements ne disposent que pour l’avenir » en matière contractuelle doit être prévue par la loi. Dans le même temps, il érige le principe de sécurité juridique qui suppose qu’une réglementation nouvelle soit, le cas échéant, assortie de mesures transitoires.

Il annule donc les dispositions du décret en tant qu’elles s’appliquent aux contrats en cours. C’est dire que ceux conclus postérieurement à son entrée en vigueur doivent les respecter.

Cette décision attendue ne manquera pas d’intéresser tout particulièrement les juristes polynésiens.

En effet, outre une rétroactivité automatique en matière fiscale (art. 145), la loi statutaire autorise de manière permanente le législateur polynésien, à appliquer les lois du pays aux contrats en cours, à condition que l’intérêt général le justifie (art. 140 al. 19). Le Conseil d’Etat doit d’ailleurs vérifier l’existence et le caractère suffisant du motif d’intérêt général en cause (DC n° 2004-490, cons. n° 94).

Or il semble qu’à ces exigences s’attache désormais l’obligation de prendre des mesures transitoires dans l’hypothèse où l’atteinte aux contrats en cours est excessive au regard des objectifs poursuivis. En plus d’être expliquée dans l’exposé des motifs, une loi du pays applicable aux contrats en cours devrait aussi disposer de mesures transitoires.

Cette analyse pose la question de savoir si le principe de sécurité juridique figure aussi dans le bloc de référence du contrôle juridictionnel particulier exercé par le Conseil d’Etat sur les lois du pays. Toujours est-il qu’il devrait être une préoccupation en matière de conception et d’adoption d’une loi du pays.

Il conviendrait donc, le cas échéant, de penser d’avantage les mesures transitoires de ce type d’acte afin d’en mesurer plus finement les atteintes et assurer au mieux la conciliation des intérêts en présence, celui de la puissance publique et celui des parties aux conventions légalement conclues.

Cette démarche participe aussi de la recherche du « bien commun ».

28/03/2006

Philippe Temauiarii NEUFFER
Avocat à la Cour (Paris)