ASSOCIATION DE JURISTES EN POLYNESIE FRANCAISE - AJPF

Monday, March 20, 2006

LA QUALITE DE LA LOI ET L’EGALITE DES SEXES

La qualité de la loi et l’égalité des sexes ; présentation succincte des décisions du Conseil Constitutionnel du 16 mars 2006.

1 - En matière de production législative, la quantité est quelque fois préférée à la qualité. Or cette qualité qui participe de la sécurité juridique est une préoccupation majeure pour ceux qui sont chargés du contrôle des normes.

« C'est la préoccupation de l'intérêt général qui inspire toute la jurisprudence suivie par notre Conseil en matière de qualité de la loi » expose monsieur Pierre MAZEAUD, Président du Conseil Constitutionnel, dans ses vœux aux Président de la République. Dans le droit fil de cette recherche de qualité, le Conseil d’Etat propose dans son rapport public 2006, des moyens pour mieux préparer la loi et attire l’attention du Gouvernement sur le respect des procédures fixées par la Constitution.

Il convient de voir dans les décisions rendues hier par le Conseil Constitutionnel (n° 2006-533 et 534), une manifestation concrète de ces préoccupations dont les prémisses sont présentes dans sa décision 19 janvier 2006.

Par ces deux décisions rendues sur recours parlementaire, le Conseil Constitutionnel a censuré à l’unanimité de ses 10 membres, plusieurs dispositions législatives comme contraires à la procédure législative prévues par la Constitution et la jurisprudence du Conseil Constitutionnel sur le droit d’amendement. Le Conseil Constitutionnel confirme que ce droit ne saurait être limité « que par les règles de recevabilité ainsi que par la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » et « que les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées après la première lecture par les membres du Parlement et par le Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion » (n° 2006-533).

Il applique ainsi sa jurisprudence dite de l’entonnoir esquissée dans sa décision du 19 janvier 2006 en censurant les dispositions issues d’amendements dépourvus de liens avec les dispositions restant en discussion, tout en admettant des exceptions pour « les amendements destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle ».

Enfin il procède, ainsi qu’il l’avait fait dans ses décisions du 30 juillet 2003 et du 19 janvier 2006, à la censure des « cavaliers législatifs », dispositions introduites par voie d’amendement mais n’ayant aucun objet avec le projet de loi. Toutefois « ne sont pas soumis à cette dernière obligation les amendements destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle »

Il est à remarquer que l’inconstitutionnalité issue du non respect des règles ainsi rappelées est soulevée d’office. C’est dire qu’ils ne seraient pas censurés en l’absence de saisine parlementaire.

Il convient également de préciser qu’un amendement déposé en première lecture devant la seconde assemblée avant la réunion de la commission mixte paritaire, autorisant le gouvernement à prendre des dispositions par voie d’ordonnance, n’a pas à être censuré dès lors qu’il n’est pas « dépourvu de tout lien avec l'objet du projet de loi initialement déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, première assemblée saisie » (n° 2006-534).
2 - L’égalité est un principe inscrit dans le marbre qui souffre d’exceptions à certaines conditions. C’est notamment le cas lorsque cette exception est prévue par la constitution qui renvoie son application à l’initiative du législateur simple ou organique. Ainsi en est-il des mesures favorables pour la population polynésienne qui permet au législateur polynésien de consacrer de véritables ruptures d’égalité, sous les réserves exprimées par le Conseil Constitutionnel (n° 2004-490). La loi relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes était censée affirmer une action positive à l’égard des femmes. Le Conseil Constitutionnel a été sollicité pour examiner ces actions au regard du principe d’égalité.
Saisi par un recours, entre autre signé par 21 femmes, il censure certaines dispositions consacrant des mesures favorisant l’accès des femmes au sein des organes consultatifs et délibératifs des personnes morales de droit public et privé par l’imposition de quotas. Il considère en effet que, « si la recherche d'un accès équilibré des femmes et des hommes aux responsabilités autres que les fonctions politiques électives n'est pas contraire aux exigences constitutionnelles rappelées ci-dessus, elle ne saurait, sans les méconnaître, faire prévaloir la considération du sexe sur celle des capacités et de l'utilité commune » (n° 2006-533).

En revanche, ne sont pas censurées mais frappées de réserves d’interprétations les dispositions fixant des objectifs aux régions visant à favoriser un accès équilibré des femmes et des hommes aux différentes filières de formation professionnelle et d'apprentissage. C’est dire que les autorités administratives chargées de l’application de ces objectifs devront veiller à ne pas faire prévaloir la considération du sexe sur celle des capacités, sous le contrôle du juge.

La censure est donc assurée pour les dispositions imposant des quotas en la matière, ce qui supposait une obligation de résultat. En revanche elle ne se justifiait pas pour les dispositions fixant des objectifs, donc la mise en œuvre de moyens visant à atteindre d' « accès équilibré des femmes et des hommes aux différentes filières de formation ».

Le Conseil Constitutionnel se fonde également sur les travaux parlementaires ayant abouti à la rédaction du dernier alinéa de l’article 3 de la Constitution qui dispose " La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ". En effet cet alinéa ne s'applique qu'aux élections à des mandats et fonctions politiques. C’est dire qu’en dehors de ce cas de figure, toute mesure plus favorable aux femmes n’est pas conforme à la Constitution.

Il est à souligner qu’au sujet d'avantages sociaux liés à l'éducation des enfants, le Conseil Constitutionnel avait adopté une position plus nuancée dans sa décision du 14 août 2003. Les sages de la rue Montpensier avaient considéré « qu'il appartenait au législateur de prendre en compte les inégalités de fait dont les femmes ont jusqu'à présent été l'objet ; qu'en particulier, elles ont interrompu leur activité professionnelle bien davantage que les hommes afin d'assurer l'éducation de leurs enfants ; qu'ainsi, en 2001, leur durée moyenne d'assurance était inférieure de onze années à celle des hommes ; que les pensions des femmes demeurent en moyenne inférieures de plus du tiers à celles des hommes ; qu'en raison de l'intérêt général qui s'attache à la prise en compte de cette situation et à la prévention des conséquences qu'aurait la suppression des dispositions de l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale sur le niveau des pensions servies aux assurées dans les années à venir, le législateur pouvait maintenir, en les aménageant, des dispositions destinées à compenser des inégalités normalement appelées à disparaître » (n° 2003-483).

C’est dire que les mesures favorables aux femmes destinées à compenser les inégalités qui n’ont toujours pas disparues devraient être inscrites dans la Constitution à l’instar de celles prévues pour les élections à des mandats et fonctions politiques.

Philippe Temauiarii NEUFFER
Avocat (Paris)
17/03/2006