ASSOCIATION DE JURISTES EN POLYNESIE FRANCAISE - AJPF

Wednesday, November 25, 2009

La loi pénitentiaire et le Conseil constitutionnel


L’examen de la loi pénitentiaire a permis au Conseil constitutionnel par une décision n° 2009-593 DC du 19 novembre 2009, de rappeler au législateur l’étendue de ses compétences à l’égard des personnes détenues ainsi qu’à l’égard des collectivités d’outre mer.

En effet, n’étant pas saisi de griefs précis contre la loi pénitentiaire déférée à lui par 60 députés, le Conseil constitutionnel a soulevé d’office la question de la constitutionnalité de deux articles de cette loi intéressant le régime disciplinaire des détenus et son application outre mer.

1 - Le régime disciplinaire des personnes détenues

Le Conseil constitutionnel ne connaît pas directement des droits et libertés des prisonniers. Il ne s’agit pas d’une matière réservée par l’article 34 de la Constitution, à la compétence du législateur.

En revanche, « La loi fixe les règles concernant : (…) la procédure pénale ».

Il en est de même pour « les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ».

C’est donc à l’occasion de l’examen de la loi pénitentiaire, devenue depuis lors la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, publiée au Journal Officiel de la République française de ce jour (n° 273, page 20192), que le Conseil constitutionnel a eu à connaître de cette question.

Cette loi vise, pour reprendre les termes de madame DATI, garde des Sceaux lors du dépôt du projet de loi devant le Sénat « à doter la France d'une loi fondamentale sur le service public pénitentiaire, cadre juridique dont elle est aujourd'hui partiellement dépourvue » (Compte-rendu des débats, Sénat du 23/07/2008).

Il est vrai que le droit pénitentiaire « dont la source est principalement réglementaire alors qu'il touche à des libertés fondamentales, n'occupe pas la place qui doit lui revenir dans notre ordre juridique » (Rapport n° 143 (2008-2009) de M. LECERF, fait au nom de la commission des lois du Sénat, 17/12/2008).

Cette loi, longuement mûrie devant les deux assemblées, a donc comme triple objectif, « de répondre à une exigence morale au regard de l’évolution des conditions de détention (…) d’adapter le cadre juridique des prisons à l’exigence juridique de respect de la hiérarchie des normes (…) et permettre à la France de mettre ses règles pénitentiaires en conformité avec un cadre juridique européen et international de plus en plus contraignant » (Rapport n° 1899 de monsieur GARRAUD, fait au nom de la commission des lois de l’assemblée nationale, 8/09/2009).

Il n’était donc pas surprenant, compte tenu de ces enjeux, que le Conseil constitutionnel se saisisse d’office de la question du régime disciplinaire des détenus, à travers la modification de l’article 726 du code pénal, pour fixer des principes applicables aux lois pénitentiaires.

En premier lieu, il précise que son contrôle s’exerce au regard du principe de la dignité de la personne humaine réaffirmé par le Préambule de la Constitution de 1946 : « tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ; que la sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d'asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle ».

En second lieu, il affirme, améliorant le titre préliminaire de la loi pénitentiaire, que « l'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion ».

Enfin, il considère qu’il appartient au législateur « de déterminer les conditions et les modalités d'exécution des peines privatives de liberté dans le respect de la dignité de la personne » et de « garantir les droits et libertés dont ces personnes continuent de bénéficier dans les limites inhérentes aux contraintes de la détention ».

Après avoir jugé que l’ensemble de ces exigences constitutionnelles n’avaient pas été méconnues par le législateur dans l’institution et l’aménagement des sanctions disciplinaires les plus attentatoires aux libertés des détenus, il a émis une réserve d’interprétation particulièrement directive au sujet du renvoi au décret pour la fixation du régime disciplinaire des personnes détenues.

Il considère en effet « qu'il appartiendra aux auteurs du décret de ne pas définir des sanctions portant atteinte aux droits et libertés dont ces personnes bénéficient dans les limites inhérentes aux contraintes de la détention ; que, sous cette réserve, le renvoi au décret en Conseil d'État pour définir les sanctions encourues autres que le placement en cellule disciplinaire et le confinement en cellule individuelle ordinaire ne méconnaît pas la compétence du législateur ».

C’est dire que la liberté du pouvoir réglementaire pour fixer ces sanctions disciplinaires est désormais limitée et qu’aucune restriction ne devrait pouvoir être apportée à la liberté de culte, au droit de correspondance, à l’accès au parloir et à la liberté de communication avec son avocat d’une personne détenue faisant l’objet d’une sanction disciplinaire.

2 - L’application outre mer

Le Conseil constitutionnel s’est également saisi d’office de la question de la constitutionnalité de l’extension de certaines dispositions de la loi dans une collectivité d’outre mer.

Il a ainsi pu jouer pleinement son rôle de protecteur du partage de compétence opéré par la Constitution entre le domaine de la loi simple et de la loi organique qui, pour ce qui concerne les collectivités d’outre mer régies par l’article 74 s’entend du partage de compétence entre l’Etat et la collectivité d’outre mer.

C’est ainsi qu’il a été amené à censurer une partie de l’article 99 de la loi pénitentiaire dont les dispositions concernent son applicabilité dans les collectivités d’outre mer et la Nouvelle-Calédonie.

Les dispositions frappées d’inconstitutionnalité prévoyaient que « L’État peut conclure avec les autorités compétentes des îles Wallis et Futuna, de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie une convention (…) », afin de préciser les modalités d’application de la prise en charge par le service compétent de la « santé des personnes détenues ».

Si en vertu des lois statutaires la Polynésie française et la Nouvelle Calédonie sont compétentes dans le domaine de la santé publique, à Wallis et Futuna cette matière relève de la compétence de l’Etat.

La loi simple ne pouvait donc prévoir une telle possibilité sans porter atteinte au partage statutaire de compétences entre l’Etat et Wallis et Futuna et risquer une censure du Conseil constitutionnel.

Il est à remarquer que le II de cet article 99 qui dispose que « Pour l’application des articles 3 et 8, la Nouvelle-Calédonie est regardée comme une collectivité territoriale » n’a pas fait l’objet d’une censure.

En effet, la Nouvelle Calédonie ne figure pas dans l’énumération de l’alinéa 1er de l’article, ni dans celle de l’alinéa 2 de l’article 72-3 de la Constitution.

L’alinéa 3 de ce dernier article précise à ce titre que « Le statut de la Nouvelle-Calédonie est régi par le titre XIII ».

Il paraissait donc pour le moins curieux que le législateur ait pu être habilité à regarder la Nouvelle Calédonie comme une collectivité territoriale alors qu’en vertu des dispositions constitutionnelles, la Nouvelle Calédonie n’est pas une collectivité territoriale de la République.

Il semble que le Conseil constitutionnel n’ait pas eu à soulever d’office cette question dès lors que ces dispositions concernent la possibilité de concours ou de participation des collectivités territoriales au service public pénitentiaire ou à certaines de ses instances.

C’est ainsi que madame la garde des Sceaux indiquait aux sénateurs que « Cet article prévoit également que la Nouvelle-Calédonie, à l'instar des collectivités territoriales, apportera son concours à l'administration pénitentiaire » (Compte-rendu des débats, Sénat du 23/07/2008).

On doit donc en déduire que cet article ne remet donc pas en question le caractère propre de la Nouvelle-Calédonie dont le régime institutionnel est prévu au titre XIII de la Constitution.



Philippe T. NEUFFER, avocat (Papeete, 25 novembre 2009)