ASSOCIATION DE JURISTES EN POLYNESIE FRANCAISE - AJPF

Tuesday, October 10, 2006

La langue et le brevet européen devant le Conseil constitutionnel

La «décision n° 2006-541 DC du 28 septembre 2006 "Accord de Londres relatif au brevet européen », intéresse l’étudiant et le professionnel du droit public à plus d’un titre.


1) L’intérêt au regard du droit public.

Sur le plan de la procédure, la décision rappelle le régime particulier de l’article 54 de la Constitution. Ce dernier prévoit que les parlementaires et les l’exécutif peuvent saisir le Conseil constitutionnel de la constitutionnalité d’un engagement international avant sa ratification. La saisine parlementaire s’apparente à un véritable recours lors que celle du Président de la République ou du Premier Ministre ne comporte aucun moyen en faveur ou non de l’engagement international.

Le cas échéant, le Conseil constitutionnel était successivement saisi par les parlementaires et le Premier ministre.

Sur le fond, la saisine parlementaire posait la question de l’utilisation de la langue française ou plus particulièrement la possibilité de dispenser de traduction la validation d’un brevet européen.

Un brevet est en effet un titre de propriété industriel qui confère à son titulaire un droit exclusif d’exploitation. Il peut produire des effets dans deux plusieurs pays liés entre eux par un traité. C’est le cas du brevet européen, prévu par la convention signée à Munich en 1973.

Elle prévoit la possibilité pour un inventeur, de déposer une demande dans un des Etats signataires qui disposera, en cas de délivrance, de la même force juridique dans ceux qu’il aura désigné pour y produire ses effets. Cependant, il devra procéder à la validation de son brevet qui réside dans la traduction du brevet dans chacune des langues officielles des Etats concernés, en plus de celles du traité de Munich. Celles-ci entraînent des frais important qui a amené les hautes parties contractantes à s’engager dans un " accord sur l'application de l'article 65 de la Convention sur la délivrance de brevets européens, signé à Londres le 17 octobre 2000 ".

Les inventeurs sont avec cet en accord, dispensés de procéder à la traduction dans chaque pays où le brevet doit produire ses effets. Seule une traduction dans l’une des trois langues officielles du traité de Munich (le français, l’anglais et l’allemand) suffit pour que le brevet produise ses effets dans les 31 Etats signataires.

Le Conseil constitutionnel confirme une jurisprudence nourrie des deux dernières décisions sur les lois statutaires polynésiennes de 1996 et 2004.

En effet, l’article 1er de l’accord n’est pas contraire à la constitution parcequ'il « s'inscrit dans le cadre de relations de droit privé entre le titulaire d'un brevet européen et les tiers intéressés ; que, dans l'ordre juridique interne, il n'a ni pour objet ni pour effet d'obliger les personnes morales de droit public ou les personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public à utiliser une langue autre que le français ; qu'il ne confère pas davantage aux particuliers, dans leurs relations avec les administrations et services publics français, notamment l'Institut national de la propriété industrielle, un droit à l'usage d'une langue autre que le français ».

Par cette décision, le Conseil constitutionnel confirme l’obligation d’utiliser le français, sur l’ensemble du territoire national, dans les relations entre personnes publiques et entre personnes privées et publiques et précise l’exception à la règle.

L’usage du tahitien ou des autres langues polynésiennes (reo maòhi no te tuamotu e maareva, no te tuhaa pae e no te fenua enata) est donc toujours interdit aux usagers des services publics en Polynésie française et aux administrations ainsi que dans les débats à l’assemblée de la Polynésie française (cf : CE 10/9 SSR, n° 282335 et 283916 FRITCH, du 29/03/2006).


2) L’intérêt au regard du droit local et international

Le second intérêt de la décision réside dans le volet international de la protection de la propriété intellectuelle. En effet, la Polynésie française est compétente pour fixer les règles applicables en matière de propriété intellectuelle (Art. LO 140-1° et 2°). Cependant, la loi statutaire ne permet pas à la Polynésie d’exercer cette compétence au-delà des limites de la collectivité. Elle peut éventuellement étendre ces règles à d’autres Etats par le biais d’accords dans le respect des engagements internationaux de la République.

C’est dire que le Pays ne dispose d’aucune marge de manœuvre en la matière s’il désire prendre des mesures dérogatoires au droit national ou international. Or le soucis de protéger une appellation telle que celle de la « Vanille de Tahiti » ou du « Monoï de Tahiti » revêt un intérêt international. La protection doit suivre le produit dans les pays où il est commercialisé et non seulement dans celui où il est produit.

Or cette protection suppose une réciprocité dans la reconnaissance des droits des Etats concernés. Celle-ci ne peut se concevoir si le droit polynésien est trop dérogatoire au droit international en la matière.

Ainsi, il apparaît que le droit international peut constituer un frein au développement d’un droit de la propriété intellectuel propre à la Polynésie française.

A moins bien sûr que les autorités de la République, qui assurent l’essentiel des compétences externes polynésiennes, acceptent de plaider en faveur de ce droit propre qui viendrait protéger les noms polynésiens, les motifs tatouages, le savoir faire traditionnel, les plantes médicinales etc…

Reste enfin à savoir qui serait titulaire de ces droits.


Philippe Temauiarii NEUFFER
Avocat (Paris)
Octobre 2006